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Organismes stockeurs : L'appât du grain bio

En 2015, les surfaces en grandes cultures bio ont quasiment doublé. C'est peu de dire que le secteur attire ! Mais gare à bien aborder le dossier, pour ne pas tuer la poule aux oeufs d'or. Structuration et concertation sont de mise : être OS bio ne s'improvise pas.

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Sur le terrain, quand on demande : « Pourquoi les agriculteurs se convertissent massivement au bio aujourd'hui ? » Les réponses sont multiples : économiques, souvent, « le prix du blé bio est à 400 € la tonne et déconnecté des marchés mondiaux », « moins d'intrants, donc moins de charges, pour mieux tenir les années dures », mais aussi environnementales, « je suis sur un bassin de captage », et bien sûr, par conviction. On entend aussi des raisons plus... personnelles : « ma femme... » ou « les jeunes se convertissent à cause des profs écolos et gauchistes dans les écoles ! » D'épiphénomènes régionaux, on assiste aujourd'hui à des conversions massives de surfaces en grandes cultures bio. Au niveau national, celles-ci ont doublé en 2015, et selon l'Agence Bio, les dynamiques de conversion se sont maintenues en 2016. Il faut dire que côté consommation, le marché est porteur. D'après les estimations de l'Agence Bio, le chiffre d'affaires du marché bio en France en 2016 pèse 6,9 Mds€, soit une croissance de plus d'un milliard d'euros par rapport à l'an passé ! En 2015, neuf Français sur dix ont déclaré avoir consommé bio, au moins occasionnellement. 27 % ont consommé bio au moins une fois par semaine (19 % en 2014).

Une croissance à deux chiffres

« La consommation bio continue d'avoir une croissance à deux chiffres, et cela fait seize ans, fait part Pierre Pradalié, chez Coop de France Midi-Pyrénées. On ne peut plus dire que c'est un marché de niche. » Si le marché progresse, la production aussi. En blé meunier, l'autosuffisance est prévue pour 2018-2019. Et l'arrivée de gros volumes n'est pas sans susciter des inquiétudes. Face à cette montée du bio, les organismes stockeurs s'organisent. Avec, au premier rang, les coopératives, même si les négoces ne sont pas absents du sujet (lire encadré). « En 2008, dix collecteurs coopératives faisaient 99 % des volumes. Aujourd'hui, ils sont quarante, dont beaucoup d'unions, soit au final 80 OS », chiffre Pierre Pradalié. Le chargé de mission AB, chez Coop de France revient sur l'historique du bio dans les coopératives : « Au début, entre 2000 et 2008, elles se disaient, "il faut rendre service à nos associés coopérateurs". Mais les volumes étaient vraiment très bas par rapport au conventionnel, elles se sont donc regroupées. Puis, est venu le Grenelle de l'environnement, et du jour au lendemain le bio a explosé. » Le mouvement s'est accéléré et les coops ont investi le bio, comme Valfrance (lire p. 28). Avec des modèles propres à chaque structure, « l'ensemble des coopératives ont joué le jeu, c'est différent d'il y a dix ans », juge Pascal Gury, agriculteur et président de la commission grandes cultures bio réunissant Intercéréales et Terres Univia. Les producteurs bio font leur apparition dans les conseils d'administration, comme à la Dauphinoise, ou chez Dijon céréales. La coopérative bourguignonne a investi dans la meunerie bio (lire p. 30). Chez Axéréal, une filiale de négoce de produits bio a été créée, à côté d'un groupement de producteurs (lire p. 30). Quant à la Coop de Broons, l'activité s'est montée sur la base d'un négoce intégré au groupe (lire p. 31). Mais attention, se lancer dans une activité bio ne s'improvise pas ! « Ce sont deux métiers différents, tant au niveau de l'accompagnement technique que de la collecte et du stockage, analyse Pierre Pradalié. Il y a un chiffre éloquent : les rotations en conventionnel en majorité comprennent 10 productions. En bio, on peut arriver à 40-45. Cela veut dire beaucoup d'allotement, et on essaie au maximum de valoriser en alimentation humaine et donc avoir en plus plein de blés différents. » Le travail du grain est aussi nettement plus conséquent. « On peut avoir 7-8 % d'impuretés dans du blé », illustre Jean-Louis Stenger, à la tête de la Corab, coopérative bio historique avec qui Terre Atlantique a signé une convention de partenariat cet été (lire p. 29). « Quand des OS commencent une activité bio, ils dédient le silo dont ils ne se servent pas trop, et c'est l'erreur à ne pas faire », estime Pierre Pradalié. Le dossier est complexe, et certaines coop et négoces s'y sont cassés les dents : silo non adapté, méconnaissance des marchés, zone de collecte très étendue car un seul site dédié, engendrant des coûts de transport prohibitifs... L'obtention de la certification est loin d'être l'étape la plus difficile (lire p. 27).

Alerte au tsunami

Un marché dont la croissance ne semble pas vouloir faiblir, des agriculteurs en demande : le bio, un eldorado ? « Attention à l'effet tsunami », met en garde Jean-Louis Stenger à la Corab. Comme beaucoup d'opérateurs de la filière, il alerte sur l'absorption de ces nouveaux volumes par le marché. « On voit des conversions dans des zones plus productives, moins enclines à la diversification, analyse Nicolas Lecat, directeur d'Agribio Union. On risque de se retrouver à produire trop de blé. » Même si finalement en 2016, l'inquiétude de la surproduction a fait place à une ruée pour trouver les volumes manquants. « On assiste à un changement d'échelle en consommation et en surfaces, résume, Guillaume Riou, élu à la Fnab. On se réjouit d'avoir passé ce cap. Oui, il y a des inquiétudes, mais pour l'instant on est toujours déficitaire en grandes cultures. La suite est difficile à appréhender, mais on ne veut pas limiter le développement. Si besoin, on verra par la suite pour des outils de régulation. La consommation progresse pour l'instant plus vite que la production. On est loin des 20 % de surfaces agricoles visés par le législateur en 2020. »

Bio made in France

Pas de panique, mais concertation et structuration sont de mises. Et la filière s'organise : discussions en amont avec les fabricants d'aliment du bétail pour valoriser le C2, sensibilisation des nouveaux agriculteurs en bio sur les débouchés... Et promotion du consommer français : la concurrence européenne, et au-delà, est bien là. Chez Qualisol, les surfaces de légumes secs ont bondi de 33 ha en 2011 à 960 ha en 2016. « En 2017, on va être à 2 000 ha, poursuit Alain Larribeau, directeur du pôle agronomique. Après, est-ce que le consommateur va choisir l'origine France ? On ne pourra pas lutter contre les lentilles du Canada. » L'enjeu est aussi européen, avec la révision du règlement bio qui fait l'objet de vifs débats, notamment concernant la fréquence des contrôles, les seuils de pesticides et le lien au sol. Le 7 novembre, l'APCA, le Synabio, Coop de France et la Fnab ont adressé un courrier sur le sujet à Stéphane Le Foll, pour « alerter sur les orientations prises ». Une autre inquiétude travaille les acteurs de la filière bio : celle de la place des productions animales bio. « L'élevage et les productions végétales sont beaucoup plus liés en bio qu'en conventionnel, s'alarme Etienne Gangneron, président de l'Agence Bio et de la chambre d'agriculture du Cher. On voit le développement des messages vegans, cela va être compliqué. C'est une méconnaissance de la durabilité des systèmes agricoles. » L'agriculture bio est promise à un bel avenir, à condition de préserver le marché, pour ne pas retomber dans certains écueils.

DOSSIER RÉALISÉ PAR MARION COISNE

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